FAO / Usine numérique

Du « produit à créer » au « produit en vie »

Interview de Yves Pélissier, Directeur des activités PLM chez Capgemini en France.

 

L’industrie traverse sa quatrième révolution. Qu’est-ce que cela implique sur les process de développement produits et sur l’organisation des entreprises concernées ?

Les organisations des entreprises doivent s’adapter à plusieurs défis. Le premier est l’explosion du nombre d’ingénieurs chargés du développement des logiciels intégrés aux produits. L’initialisation des projets a progressivement glissé de la « forme » au sens large, vers les Systèmes, ce sont désormais les softs qui prennent le pas sur le reste. Si on regarde la configuration classique d’un produit, c’est une vue très physique du sujet qui reçoit, éventuellement, une version de software. Demain, la majorité du service rendu au client par le produit se trouvant dans ce software, on peut imaginer un renversement de valeur, et attacher les différentes versions de l’objet physique à son logiciel intégré. Pour les industriels, l’enjeu est notamment de marier les deux cycles de développement, l’objet physique et ses logiciels intégrés, souvent très différents.

Le second défi est résumé par la thématique du PLE (Product Line Engineering). Comment gérer la diversité de mon produit en pilotant le contenu des services rendus au client, et non en pilotant les pièces qui constituent mon produit ? Cela signifie que la nomenclature devient le résultat d’un service rendu ou de fonctions, eux-mêmes gérés en configuration, et qu’elle pilote le contenu de mon produit. Pour les entreprises, cela implique de remonter la maîtrise de la définition du contenu de l’objet configuré probablement du côté du département services.

Troisième tendance forte, la prise en compte des objets connectés qui ne cessent de croître. La question cette fois-ci est : comment modéliser mon produit pour gérer les multiples instances de celui-ci sur le marché ? Comment gérer la variabilité non pas à travers une définition des possibles mais une capture voire la modification des réels. Pour un fabricant de smartphones par exemple, comment gérer la définition d’un n° de série d’un téléphone en service, pour faire évoluer ses fonctions et offrir les services idoines ? Evidemment, c’est tout autant valable pour des produits BtoB.

Quatrième évolution notable chez nos clients : si l’initiative du changement venait jusqu’à présent des personnes qui avaient les bonnes idées, que cela soit des services de style, d’ingénierie, ou de marketing, demain, cela pourrait être l’objet lui-même qui propose des modifications conceptuelles. Exemple : imaginons un moteur d’hélicoptère connecté, doté de capteurs mesurant ses caractéristiques de fonctionnement, et d’autres mesurant les paramètres de externes comme la température ou l’hygrométrie de l’air. Aujourd’hui, on est capable d’analyser l’impact des variations de cet environnement sur le comportement du moteur. Demain, les technologies de machine learning et d’intelligence artificielle détecteront elles-mêmes ces corrélations et proposeront des modifications du produit pour y remédier. Dans le domaine de l’informatique, c’est déjà le cas lorsque votre PC envoie des informations vers un centre de traitement des anomalies.

Quels peuvent être les impacts directs sur les métiers de l’ingénierie ?

On parle beaucoup des liens entre l’ingénierie et la fabrication et c’est logique. Il y a une véritable continuité numérique à mettre en oeuvre sur ce maillon. Mais des liens de plus en plus forts vont unir l’ingénierie avec les services aux produits. Les ingénieurs devront intégrer davantage d’exigences liés à l’usage des produits lorsqu’ils les concevront. C’est-à-dire intégrer des capteurs et leurs systèmes de transmission de données, d’éventuels dispositifs d’auto-maintenance embarqués, ou de modification automatique de configuration pour tenir compte d’une évolution de l’environnement de fonctionnement, etc. Dans l’automobile, par exemple, un constructeur doit dès la conception d’un nouveau modèle penser à ses capacités d’évolution plusieurs années après sa sortie des chaînes de production.

Des tâches classiques de l’ingénieur risquent-elles de disparaître ?

Pas de disparaître mais de diminuer en volume. Les technologies de Generative Design et d’optimisation topologique par exemple devraient bousculer les habitudes de travail. Notamment depuis l’arrivée de l’impression 3D qui ouvre les possibilités en la matière et rendent les optimums de forme moins intuitifs. Des solutions existent déjà pour proposer un design produit en fonction de contraintes physiques et de fabrication. Cela signifie que les ingénieurs se consacreront moins à la modélisation 3D pure et au dessin de détails pour se recentrer sur la modélisation amont, la modélisation des systèmes, etc. C’est une forme de revalorisation du métier vers des tâches de plus haut niveau.

Sur le plan technologique, le PLM sera-t-il au centre des systèmes informatiques ?

D’un point de vue données, plus forcément puisque les volumes de données provenant des usines de production et produits en service sont infiniment supérieurs aux informations de définition de ces produits. Le barycentre va donc se déplacer vers « le produit en vie » et non le « produit à créer ». Les outils PLM continueront sans doute à optimiser les espaces de collaboration dans l’entreprise dans un but de définition. Mais elles ne sont pas adaptées à cette évolution tant en quantité d’informations à gérer qu’en exploitation de ces données. Au-delà de la CAO, elles vont sans aucun doute intégrer davantage de données et de fonctionnalités concernant l’ingénierie système, l’électronique, le développement logiciel et d’intégrer de nouveaux métiers. Mais la révolution IoT va être l’occasion de voir arriver de nouveaux acteurs dans le domaine industriel, comme SAP, Amazon ou Microsoft. Les enjeux sont énormes, et il n’y a pas une pléthore d’entreprises capables de répondre à l’ampleur des défis technologiques que cela recouvre.

Les technologie cloud peuvent-elles faciliter le déploiement des process PLM dans les entreprises et finalement la digitalisation de l’industrie ?

Le cloud répond essentiellement à une problématique IT, qui est un vrai sujet par ailleurs. Il y a en effet une véritable demande de la part de nos clients pour avoir des composantes de leurs projets PLM dans le cloud. Capgemini déploie par exemple des instances Windchill sur Amazon Web Services pour un acteur majeur du High Tech. D’autres projets sont en cours sur les solutions concurrentes. Par ailleurs, le cloud peut avoir une vertu normative. Mais, il faudrait pour cela bénéficier d’une offre PLM cloud simple, économique, performante… qui serait en quelque sorte le Word du PLM pour démocratiser et standardiser au mieux à la fois l’outil et les process PLM. Et ce n’est pour l’instant pas véritablement le cas.

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