Non classé

IGH, les défis de la protection anti-incendie

La conception des Immeubles de Grande Hauteur doit tenir compte dans ses différentes composantes des exigences accrues en terme de protection et de lutte anti-incendie.

 

Délaissés un temps suite au 11 septembre, les gratte-ciel reviennent en force dans les quartiers d'affaires, à la Défense avec le Plan de Renouveau sur 2006 à 2013, mais aussi en Province comme à Marseille dans le nouveau quartier d'affaires d'Euroméditerranée ou à Lyon à la Part-Dieu. Du fait de leur grande hauteur, les immeubles classés IGH relèvent de procédures spécifiques dans le domaine de la prévention et de la lutte contre l'incendie. En France, suivant l'article R122-2, le classement est fonction de la hauteur du plancher bas du dernier niveau par rapport au niveau du sol le plus haut utilisable par les véhicules de pompiers. L'IGH démarre à cinquante mètres pour les immeubles d'habitation et à vingt-huit mètres pour les autres et l'ITGH (Immeuble de Très Grande Hauteur) à partir de deux cents mètres. Trois ITGH devraient voir le jour en 2016 à la Défense, les deux tours jumelles Hermitage (323 m) et la Tour Phare (297m). IGH et ITGH sont soumis à des réglementations strictes, en terme de non propagation et stabilité au feu de la structure, moyens de détection et d'alertes, double évacuation, etc. Ces contraintes limitent en France l'éventail de formes architecturales possibles.

 

En attendant la nouvelle réglementation

Officiellement, l'arrêté du 18 octobre 1977 continue de définir les modalités de prévention de l'incendie dans les IGH, mais dans les faits c'est le nouveau règlement de sécurité approuvé le 8 novembre 2007 par la CSS (mais pas encore signé) qui est appliqué par les professionnels. L'objectif de la réglementation est de limiter en cas de sinistre incendie la propagation d'un foyer grâce à des coupe-feu et des cloisonnements, afin de gagner du temps pour pouvoir donner l'alerte. Une évacuation en bon ordre des occupants est garantie par deux évacuations distinctes, souvent deux escaliers symétriques. Le nombre de postes de sécurité est aussi précisé et l'intervention des pompiers facilitée, avec un ascenseur rapide qui leur est réservé. « Deux principes de base président dans la conception de la protection anti-incendie, résume Christophe Astier, ingénieur génie climatique du groupe Terrell, le compartimentage et le désenfumage qui est dimensionné de manière fixe en fonction d'un débit d'air à brasser. »

 

Le recours à des systèmes automatiques à aspersion d'eau (sprinklage) ou à brumisation, est systématique avec la norme américaine. Cela autorise à l'étranger une plus large variété des formes architecturales des gratte-ciel. En France le sprinklage demeure généralement limité aux noyaux, aux ascenseurs, aux archivages et data centers, ou en rideau pour les parkings… « Avec l'effet de la mondialisation, ajoute Christophe Astier, les assureurs peuvent être tentés de suivre ce qui se fait ailleurs. Mais généralement le prix de cette surprotection est dissuasif. » Néanmoins, la technique fait son apparition, par exemple 12500 têtes sprinklers ont été installés par TPI à la Tour Granite, inaugurée fin 2008. Autre exemple, pour la tour Air2 d'une hauteur de 185 mètres, plusieurs demandes de dérogations ont été acceptées avec différentes mesures compensatoires dont la généralisation d'un système à eau de type sprinkler sur plusieurs étages. Sont concernés deux étages où les effectifs sont dépassés et sept comportant des terrasses plantées. « En France, nous nous attendons à une évolution de la réglementation en faveur des systèmes de type sprinklage. Nous serions alors bien placés avec nos systèmes à brouillard d'eau, plus légers à installer et moins gourmands en eau. », espère Stéphane Coquard, ingénieur projet chez FogTec.

 

Eviter les structures métalliques

Outre le fait que les murs et planchers doivent être coupe-feu, la stabilité de la structure au feu doit être de deux heures en IGH, trois heures en ITGH contre une heure pour un bâtiment normal. « Le résultat est d'éviter en IGH les structures métalliques, ou alors de les floquer. Il n'est pas évident qu'une structure métallique tienne au feu en subissant de fortes charges. Parfois la solution prise est de choisir une structure mixte béton et acier. À cette étape, il n'y a pas de simulation de la tenue au feu, il existe des règles simples définissant les gabarits des enrobages. Si par contre l'épaisseur est inférieure, la stabilité au feu doit être vérifiée par calculs. », détaille Annabelle Datry, ingénieur structure chez Terrell.

La géométrie est modélisée par le Bureau d'Ingénierie dans Revit, Tekla, Graitec ou Allplan entre autres, puis maillée et analysée par éléments finis dans Robot, Graitec Advance, Staad, Scia Engineer, etc… Tous ces logiciels ont intégré les Eurocodes y compris le 8 pour l'analyse sismique qui a remplacé l'ancienne réglementation au 1er Mai 2011. Une des évolutions de la norme européenne est de ne plus limiter l'analyse au domaine élastique des matériaux et de prendre en compte leur plage plastique.

 

Une attention à toutes les étapes

Par rapport à un bâtiment plus petit, un IGH est plus grand, plus lourd, plus sensible au vent, aux séismes et aux imprécisions de fabrication. Chaque élément doit être conçu et mis en oeuvre avec davantage de précautions. Il faut étudier l'interface sol-structure en prenant en compte la nature de la couche de terrain, et bien concevoir les fondations avec un radier fortement ferraillé de plusieurs mètres d'épaisseur, qui à la Défense est posé à vingt mètres de profondeur sur la couche calcaire. Depuis le 11 septembre 2001, une sensibilité plus grande est portée au socle et à la résistance aux déflagrations en pied de tour. Les risques de dérive verticale du bâtiment doivent être étudiés, avec des déformations qui peuvent être dues à un tassement des fondations, au fluage et au retrait du béton ou à une mauvaise répartition des charges. Le noyau doit être bien positionné pour ne pas amplifier les torsions. Le déplacement horizontal en tête de bâtiment est aussi davantage contraint sur les IGH avec une limite de H/500.

 

Au dessus de cent mètres, il faut particulièrement vérifier la pression au vent sur l'ossature de façade. Les essais en soufflerie sont quasi systématiques dans des environnements complexes comme la Défense. En revanche pour la Tour Horizons, il n'y a pas eu besoin d'essais puisque la forme de la tour est régulière et les bâtiments environnants sont bas. « La conception doit être optimisée en tenant compte des déformations. Il faut aussi faire attention aux faux aplombs, qui amplifient l'inconfort des occupants. Un sujet important est d'ailleurs celui du phasage de la construction et de la rotation des grues et des coffrages auto-grimpants. », résume Annabelle Datry. En ITGH, toutes les déformations et inconforts sont amplifiés. Des amortisseurs dynamiques de type TMD (Tuned Mass Damper) de plusieurs centaines de tonnes d'acier peuvent être placés pour diminuer les problèmes d'inconfort générés par les oscillations dues au vent. Ils contribuent aussi aux qualités anti-sismiques du bâtiment. Un tel amortisseur pendulaire est prévu pour les Tours Hermitage.

 

Des façades très réglementées

Sur la façade, le principe de la réglementation incendie est d'éviter la propagation du feu d'un étage à l'autre, avec un C+D (distance entre deux ouvertures de deux étages superposés) de minimum 1m50. « La réglementation incendie en France impose des bandeaux horizontaux, constate Antoine Maufay, architecte et directeur adjoint d'Arcora. Les architectes essaient d'effacer ce marquage horizontal avec une double peau et des brise-soleil, ou en simple peau avec de faux vitrages. » Une autre spécificité de la réglementation incendie française est d'imposer des façades pare-flammes sur les angles rentrants, ce qui favorise les façades lisses. Une nouveauté est d'imposer le calcul de la masse combustible en linéaire de façade. Par ailleurs, le Bureau d'Ingéniérie doit tenir compte de l'évolution de la réglementation thermique. L'épaisseur de la façade est donnée par celle de la partie opaque isolée. « En France, avec le ratio SHON sur surface utile, nous sommes contraints pour les bureaux à des façades de 220 mm d'épaisseur, avec environ 160 mm d'épaisseur d'isolant. Au Luxembourg, nous pouvons aller jusqu'à 240 mm d'isolant », ajoute Antoine Maufay. Toute une série d'utilitaires permettent aux Bureaux d'ingénierie de calculer la prise au vent, l'isolation, l'inertie thermique, l'ensoleillement, le FLJ (Facteur Lumière Jour), évaluer l'influence d'un brise soleil sur une façade, sans oublier la masse combustible. Avec la nécessité de trouver un compromis entre ces différences exigences, en particulier entre l'isolation et l'apport en lumière naturelle.

cad164_pp36-43_dossier-igh

Ces articles peuvent vous intéresser :