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Préparer le futur : de l’éco-conception à l’é-co-innovation

L’éco-conception est considérée comme un processus complexe et perçue comme une contrainte par les entreprises. Elle ambitionne pourtant un équilibre entre les exigences écologiques et économiques dans le développement de produits. Le point de vue d'Eunika Mercier-Laurent, Présidente Innovation 3D et chercheur associé du groupe Modeme IAE Lyon3.

 

La nouvelle façon de concevoir est plus globale – il s’agit de réduire l’impact environnemental tout au long du cycle de vie d’un produit, en préservant les objectifs de compétitivité, de qualité et de délais de mise sur le marché. L’activité de conception, qui est déjà un champ multidisciplinaire faisant appel à un grand nombre d’outils et à une multitude de connaissances, doit désormais intégrer les aspects environnementaux. Une récente étude a démontré que les entreprises s’engagent dans une démarche d’éco-conception principalement sous la pression de la réglementation, grâce à la forte implication des dirigeants, à une politique d’entreprise claire, à une volonté de maîtrise des coûts, d’image de marque et de satisfaction clients. Dans ce contexte, les sous-traitants, pour la plupart des PME, doivent s’adapter aux exigences de leurs donneurs d’ordres.

Alors que le PLM prend en compte l’ensemble des personnes, processus, données et services tout au long du cycle de vie d’un produit de sa conception au recyclage, l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) met l’accent sur l’impact environnemental de ce cycle. Ce dernier s’appuie sur les normes ISO 14000. Ces outils mettent en œuvre les données relatives au processus, mais ne facilitent pas la construction d’un flux de connaissances engendré et ne prennent pas en compte des compétences associées au cycle de vie du produit.

Etant donné le caractère de processus, l’intégration des aspects environnementaux demande une autre façon de penser que celle utilisée habituellement – globale et systémique à la fois.

Dans ce cas, l’éco-conception, régie par les contraintes et normes, pourrait devenir une démarche volontaire.

 

Enjeux et motivations

L’évolution des méthodes et outils de la conception est influencée par une multitude de facteurs comme les tendances, les lois, les normes et les évolutions technologiques.

L’éco-conception résulte d’une prise de conscience sur l’état de la planète, menacée par les crises multiples : financière, accroissement de l’émission de C02, « peak oil », épuisement des ressources, déforestation, changements climatiques, accroissement de la population…

Ces éléments sont systémiques et interdépendants.

D’autres facteurs renforcent la situation de crise. Le besoin de consommation, ainsi que la concurrence accrue, poussent les entreprises à produire moins cher et à délocaliser. Sans la compréhension et la prise en compte globale de ces éléments, les efforts de calcul d’impact et de recyclage n'auront que peu d’influence sur l’amélioration de la situation.

 

Quelle influence sur la conception ? Face à ces crises, une idée serait de repenser les organisations en termes de 3P associant le Profit, Personnes (compétences) et améliorant l’état de la Planète. On trouve ces considérations à la base de la démarche RSE (Responsabilité Sociale des entreprises).

Par ailleurs, l’approche stratégique du Knowledge Management considère que les pays développés sont en transition de l’ère industrielle vers celle de la connaissance – les processus de l’entreprise doivent s’appuyer sur un flux de connaissances facilitant ses activités. Le Knowledge Innovation® va au delà, car il considère le processus de l’innovation comme élément fédérateur de tous les processus de l’entreprise.

L’innovation est définie comme une suite de créations, d'évolutions, d'échanges et de transformations des idées en produits et services pour la réussite de l’entreprise/organisation,  la vitalité de l’économie et pour le progrès de la société. Elle met l’accent sur l’implication des clients dans ce processus en tant que partie prenante. Ce sont eux qui font vivre les entreprises et constituent une source d’idées et de connaissances. La conception faisant partie de ce processus ambitionne la réussite durable de tous les participants, l’environnement compris.

 

De l’autre coté, l’évolution rapide des TIC et des systèmes d’information impacte les méthodes et outils destinés à la conception, incluant la conception collaborative et à distance.

Le progrès technologique veut que les objets soient connectées et communicants : un réfrigérateur qui parle et qui vous propose un menu à partir d’éléments qui s’y trouvent, ou qui lance une commande du lait,lorsque celui-ci vient à manquer.

Cependant, l’informatique intègre encore bien timidement des approches et les techniques du traitement des connaissances (intelligence artificielle). Elle pèche également par le manque d’association des utilisateurs à la conception de logiciels.

 

La RSE a conduit l'économie de marché vers un nouveau business model où la vente de produits est remplacée par la vente de ses fonctionnalités. La responsabilité sociale et sociétale impose de produire propre et proprement, tout en pensant au recyclage et à l’émission de CO2, et en fabricant en local.

L’économie de la connaissance permet d’aller au-delà, en associant aux produits des services basées sur l’expertise utilisée déjà en conception et en exploitation. Une autre voie pourrait être associée à celle-ci : passer du développement durable aux produits durables.

 

L’approche connaissance à la conception

L’éco-conception est à l’opposé de l’obsolescence programmée lors de la conception de la plupart de produits de la consommation courante. On change souvent de « standards » – une fermeture de porte fenêtre qui se détériore implique le changement de cette porte fenêtre, car le système de fermeture a changé, voire même une modification des murs, car le nouveau standard ne correspond plus à celui d’il y a dix ans. Alors on vous propose la fabrication d’une porte fenêtre sur mesure (un autre business model). Cette démarche est contradictoire au « bâtiment vert ».

Dans beaucoup de cas les pièces de rechange n’existent plus ou il n’est pas rentable de les changer.

Modularité, "généricité" et "réutilisabilité" ont été introduites il y a plus d’une décennie par l’approche de la modélisation conceptuelle des connaissances. Bien que les trois premiers soient facilités par les outils d’aide à la conception, l’interchangeabilité dépend de la stratégie de l’entreprise. Le blocage de la concurrence par les interfaces de connectivité est bien connu par les concepteurs d’ordinateurs et d’accessoires de téléphones mobiles, d’électroménager et autres. Beaucoup d’accessoires, comme par exemple les chargeurs, ne sont pas interchangeables d’une marque à l’autre, ce qui oblige le client à acheter. Cette attitude mène à la production de déchets, induisant la nécessité de recyclage quand c’est possible.

Une autre issue serait de concevoir les produits modulables, réparables et interchangeables.

Par exemple, les appareils électroménagers tels que les robots de cuisine pourraient utiliser le même moteur à plusieurs vitesses en fonction de l’opération à effectuer. Ceci éviterait d’avoir une multitude d’appareils. Ces principes sont valables pour tout type de produits. Cependant l’implication des utilisateurs dans la conception permettrait de proposer les produits adaptés aux besoins.

 

Jeter, recycler, réparer? – vers l’économie de la connaissance

Le recyclage est à la mode, mais il consomme de l’énergie et génère à son tour des déchets y compris des déchets toxiques. Les produits modulables, interchangeables et réparables aideraient à préserver la consommation des matières qui y sont incorporées, en favorisant leur usage durable. Cette orientation, qui s’oppose aux pratiques habituelles, imposera, inéluctablement, l’obligation d’un effort, dès la conception du produit, pour permettre sa séparabilité, dans des conditions économiques nouvelles et la définition d’une politique de pièces de rechange, aisément remplaçables, à la connectique stabilisée et même standardisée, distribuées par un réseau efficient. Ceci permettrait d’aller au delà de « faire proprement un produit propre ». Ajout de fonctionnalités dans le même produit à l’image de « box » pourrait être également envisagé.

 

Ecoconcevoir ou é-co-innover ?

Alors que la RSE impose la réduction d’impact environnemental par ajout des contraintes sur les démarches actuelles, l’é-co-innovation propose une évolution de concepteur vers un jardinier de la connaissance. L’éco-conception fait partie d’un processus global de l’é-co-innovation qui est fédérateur de tous les processus de l’entreprise.

 

Le processus de l’é-co-innovation commence par une idée et mène au succès durable de tous les participants. Il est composé de deux parties : créativité et transformation de l’idée.

La créativité se poursuit tout au long du cycle de vie, car elle permet de proposer intensément de nouveaux produits, à l’image d’Apple. Une idée est en général une réponse aux besoins, on peut copier l’idée d’un concurrent (Apple a copié les idées de Xerox et a été copié à son tour par Microsoft), ou vise à créer des nouveaux besoins.

Tous les participants, y compris les parties prenantes sont force de proposition. Des idées peuvent être nouvelles, transformées à partir des idées existantes – certaines idées de Leonardo da Vinci ou les rêves de Jules Verne sont devenus réalité ou ont inspiré d’autres créateurs bien plus tard. Une idée peut être enrichie ou transformée par les participants du processus – chacun ajoute son point de vue et ses connaissances. L’innovation devient alors co-innovation. L’idée est ensuite validée par les experts technologiques pour sa faisabilité, des spécialistes marketing ainsi que par le DRH afin de planifier les ressources pour son développement. Dans le cas où elle émane d’un client, une partie du marché est déjà assurée, mais elle peut en ouvrir d’autres, grâce aux partenaires impliqués dans le processus.

 

La vérification des contraintes est partiellement faite en ce qui concerne le marché, la technologie et les ressources disponibles. Toute activité d’innovation génère un impact sur l’environnement – il doit être estimé au début processus. C’est là où les technologies de l’intelligence artificielle comme la programmation par contraintes, les systèmes multi-agents ou le raisonnement par analogie, associées aux techniques du traitement d’image (simulation graphique), peuvent apporter une aide considérable. Les outils de l’intelligence économique seront utiles pour une première étude de la concurrence. Mais la veille technico-économique continuera, tout comme le retour d’expérience, avec l’aide de tous les participants, tout au long de ce processus récursif. Une estimation des bénéfices attendus, faite à cette étape fournira un élément de décision pour le développement à venir. Dans ce contexte l’éco-conception devient une attitude.

Alors que la majorité des outils d’aide à la conception intègre des simulateurs de fonctionnalités, peu parmi eux permettent de « vérifier avant de faire » afin d’effectuer le meilleur choix de matériaux, de la forme, et minimiser le recyclage.

Dans sa dernière version, SolidWorks ajoute une dimension géographique – où le produit sera exploité, mais ne permet pas encore d'utiliser les simulateurs comme outils de prise de décision au choix autres que fonctionnalités, avant de lancer la fabrication.

 

Perspectives et tendances

Parmi les pistes pour diminuer l’impact environnemental on peut noter le remplacement du développement durable par les produits durables. La conception inspirée par la nature en connexion avec les écosystèmes naturels est déjà pratiquée à une petite échelle, car elle demande l’association de connaissances pluridisciplinaires, mais elle va certainement influencer la conception. Intelligence d’insectes et de plantes ajoutée à celle des humains et d
s machines (intelligence artificielle) pourrait ouvrir d’autres voies en conception.

Alors que open innovation est à la page, suivie d’open science (Sony),open products pourraient être le Next...

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