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L’homme numérique prêt pour les tests

Crash tests, études médicales ou ergonomiques, les simulations actuelles nécessitent des modèles de mannequins virtuels très proches de la réalité physique du corps humain. Les technologies avancent mais les freins à leur utilisation massive restent forts.

 

Plus question de développer une automobile sans réaliser de crash tests. D’abord, c’est obligatoire, ensuite, c’est particulièrement utile. « Parfois, les concepteurs des véhicules peuvent apporter des solutions à certains problèmes qui dégradent involontairement la réponse de la voiture aux normes », explique Franck Njilie, responsable Sécurité et Biomécanique chez Altair. D’où l’intérêt de réaliser des tests à répétition tout au long du développement d’un nouveau modèle. La solution pour ne pas casser une auto par jour ? Des tests virtuels. Deux solutions sont possibles : insérer un modèle en éléments finis (FEM) de mannequins dans un modèle FEM du véhicule et faire tourner la simulation, ou bien coupler le logiciel de simulation avec une application spécifique à l’étude du comportement de mannequins comme PAM Crash, Radioss ou Madymo, de Tass. Une journée suffit alors pour réaliser plusieurs tests quand, dans le monde réel, elle suffit tout juste à tout préparer. Les crash tests réels sont évidemment toujours nécessaires et font foi pour la certification d’un nouveau véhicule.

La demande pour ce type de simulation ne cesse d’augmenter. Dans l’automobile, « lors d’un projet de nouveau véhicule, les constructeurs réalisent généralement un crash test latéral par jour », commente Franck Njilie. Et d’autres secteurs comme l’aéronautique ou la construction de cycles et de motocycles y viennent. En outre, les exigences des industriels sont de plus en plus poussées. Exemple chez BMW. Pour les tests de choc arrière (celui du coup du lapin), le constructeur s’est adressé à Simulia. Sa demande ? « Disposer d’un code prédictif qui permette d’avoir une tendance sans recalibration entre le mannequin virtuel et le mannequin réel à chaque campagne de test », raconte Michèle Alexandre directeur général France de la marque Simulia chez Dassault Système. Pour cela, les équipes de Simulia ont développé un clone numérique du mannequin physique Biorid II, utilisé dans ce type d’essais. BMW l’utilise actuellement, même si certaines petites calibrations sont toujours nécessaires. Conçu avec l’association des constructeurs allemands (FAT), « il est constitué de 66000 éléments et 250000 degrés de liberté », commente Michèle Alexandre.

 

Les besoins évoluent

Attention, « l’objectif est de reproduire fidèlement le mannequin physique, pas un homme », prévient le directeur général de Simulia. C’et pourtant vers cela que l’on se dirige. En effet, « Un choc peut être une combinaison de plusieurs scénarios. Il faut donc aller vers des modèles biomécaniques », explique Franck Njilie. Pour cela, l’éditeur utilise un modèle humain baptisé Humos (HUman MOdel for Safety) voué aux crash tests. Issu d’un projet européen impliquant plusieurs éditeurs et laboratoires, il s’agit d’un modèle en éléments finis de 61000 nœuds et 102000 éléments incluant le squelette, les muscles, les ligaments et certains organes. Il peut être ajusté pour correspondre à différentes références physiques normalisées (on parle de percentiles), complété d’éléments particuliers reconstruits dans San2Mesh à partir de scans (d’un fémur par exemple) et positionné selon l’application. Il est notamment utilisé dans des applications biomédicales, des études biomécaniques, des crashs d’automobile, ou encore dans le sport, par exemple pour étudier l’impact d’une balle de baseball sur le crâne d’un receveur malchanceux…

Chez Esi Group, « Les constructeurs ont demandé des modèles d’humains qui ne seraient pas calés sur des percentiles, qui pourraient être utilisés dans différents chocs et plus fidèles que les mannequins », explique Muriel Beaugonin, responsable de la R&D en sécurité et biomécanique. Le spécialiste de la simulation n’en n’est pas loin. En partenariat avec une université tchèque, il met au point depuis plusieurs années une famille de mannequins : Robby, Robina (qui peut si nécessaire devenir pour l’occasion enceinte de 30 semaines) et Bobby6 (leur fils de six ans), des mannequins constitués de parties rigides et d’articulations aux réponses non linéaires, compatibles avec PAM Crash/Safe. Ces personnages peuvent en outre être modifiés en tenant compte de leur age, de 3,5 à 55 ans et, pour prédire les blessures sur les organes principaux, les partenaires ont modélisé plus finement leur thorax, leur abdomen et leur tête (en cours). Enfin, la modélisation du comportement des muscles des humains leur a permis de créer des modèles de piétons « marchant » qui, dans des tests de choc piéton, apportent plus d’informations que les techniques traditionnelles faisant intervenir des « impacteurs », des masses projetées sur les capots.

 

Le médical et l’ergonomie

Dans l’automobile, le Global Human Body Models Consortium (GHBMC), mené par 9 constructeurs et équipementiers, travaille à l’élaboration de mannequins de crash tests plus completes. Et en Europe, le projet Aprosys (Advanced Protection Systems), clos en mars, a regroupé plus de 50 partenaires afin de développer des modèles mathématiques plus précis du comportement du corps humain et harmoniser les mannequins numériques dans le monde. Mais ces humains virtuels n’intéressent pas que les transports. « Nous travaillons avec de grands fabricants de prothèses afin de mesurer l’influence des appareillages sur l’os ou sur le reste du corps, ou encore dans le domaine cardiovasculaire et circulatoire, pour étudier le déploiement de stents », explique Raoul Spote, responsable technique avant-vente chez MSC software France. Les études d’ergonomie, aussi sont de plus en plus friandes de simulations à l’aide de modèles rigides articulés qui permettent de mesurer des encombrements, voire donner des informations plus précises. Et ces solutions deviennent de plus en plus abordables. Chez PTC, par exemple, Pro/E mannequin, qui reprend les travaux du projet H-anim est utilisable directement dans la version WildFire 4. A l’aide de bibliothèques de catégories ethniques, d’accessoires complémentaires et de positions, les mannequins sont placés dans une maquette numérique. « Dans le modèle, on dispose également de micropostures d’un organe en particulier, la main, par exemple, pour figurer une préhension plus fidèlement », explique Olivier Lesné, responsable des ventes techniques en France. Le travail se fait en deux temps. D’abord une analyse 3F (form fit fonction) pour placer le mannequin, puis l’analyse et la simulation selon les standards Rull A, qui ressort avec précision les efforts sur chaque articulation. Mieux, « les mannequins sont associés à des masses et un centre de gravité, on peut donc faire des analyses dynamiques et cinématiques », commente olivier Lesné. Ce module est en test chez Mavic en France, qui fabrique des équipements de sport, et aux USA, pour le développement de machines agricoles chez AGCO et John Deere. Mais attention, « la conformité avec le corps humain ne concerne que l’enveloppe », prévient-il. Et ces mannequins rigides ne peuvent servir dans un calcul de déformation par éléments finis. Mais on peut aller plus loin. « Un laboratoire qui utilise Adams a développé un « super mannequin rigide » constitué d’un squelette d’éléments rigides liés par des articulations flexibles et des muscles. Cela permet de travailler plus finement sur l’ergonomie en retrouvant les efforts qui transitent dans le corps », témoigne Raoul Spote, de MSC Software. Cette solution est notamment utilisée dans le sport. Un projet européen, DHergo, regroupe notamment de nombreux industriels pour développer des modèles biomécaniques dédiés à l’ergonomie.

 

Vers un humain virtuel

« Il y a une tendance générale qui vise à développer un modèle virtuel de l’être humain », annonce Thierry Marchal, directeur marketing Industrie de Ansys. C’est même le thème précis de projets internationaux, tel VPH (Virtual Physiological Human). « Mais un tel modèle serait très lourd et nécessiterait des calculs longs », poursuit-il.  Pour apporter satisfaction sans alourdir les calculs, « nous proposons aux clients de travailler en partenariat pour adapter les modèles existants à leur utilisation », explique Muriel Beaugonin de Esi Group. En gardant certaines parties grossières, et d’autres plus fines. C’est l’esprit de Robby ou de Humos. Parallèlement, des laboratoires spécialisés mettent au point des modèles localisés spécifiques très complets utilisables avec certains codes du marché. « On a notamment de gros modèles de pied avec les os, les muscles, les tendons et les chaires… Le monde du sport s’y intéresse », annonce Michèle Alexandre, de Simulia. Les éditeurs de codes y trouvent un grand intérêt. « En travaillant sur ces projets, on va apprendre des choses sur le genou ou une autre partie et l’on s’en servira pour construire un modèle plus grossier mais réaliste », explique Muriel Beaugonin.

 

Encore des difficultés

« Il y a beaucoup de travaux en recherche mais ce n’est pas utilisés en production actuellement car ces techniques ont encore besoin de validations », remarque Muriel Beaugonin. Un point épineux, car pour calibrer leurs modèles, les éditeurs sont contraints de réaliser des mesures sur des cadavres. Or, « tous les corps sont différents et il est difficile d’arriver à une mesure fiable et généralisable sur un cadavre précis », explique Raoul Spote, de MSC Software. En outre, « il y a une réelle nécessité d’une normalisation de virtual testing », commente muriel Beaugonin. Cela semble en bonne voix car l’ensemble des acteurs collaborent  dans le cadre des projets internationaux et poussent dans ce sens. Mais surtout, si le besoin a été identifié, il faut des budgets pour réaliser ces études onéreuses. Et la période actuelle, en particulier dans l’automobile, n’est guère propice aux déblocages de fonds…

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