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Le numérique au service de la conception

Modélisation 3D, simulation numérique, PLM, réalité virtuelle, travail collaboratif… autant de bouleversements techniques et méthodologiques qui secouent les industriels depuis 20 ans. Le numérique s'installe progressivement, mais définitivement dans les bureaux d'études des entreprises manufacturières.

Ce dossier brosse un tableau de ces technologies majeures selon une grille de lecture liée à leur maturité : ce qui est largement diffusé, ce qui est en cours de diffusion, et ce qui demain sera indispensable à la performance industrielle. Cette synthèse de quelques pages fait logiquement des impasses et des raccourcis, et se veut essentiellement didactique. Nous nous en excusons d'avance auprès des experts.

 

 

Depuis près de trente ans, les technologies numériques se sont implantées dans les bureaux d'études chargés de concevoir et d'industrialiser les produits de notre quotidien. La planche à dessin a céder la place aux logiciels de DAO, de CAO 3D, puis de réalité virtuelle. Les tests physiques validant les choix techniques ont été complétés, voire remplacés, par des solutions de calcul numérique. Celles-ci simulent virtuellement le comportement de produits toujours plus complexes en tenant compte des lois physiques de leur environnement final. Enfin, les industriels ont entamé depuis quelques années une démarche globale de progrès reposant sur le PLM (Product Lifecycle Management). Une organisation qui s'appuie notamment sur ces logiciels, mais surtout sur la formalisation des processus classiques de l'industrie manufacturière et sur leur diffusion dans l'entreprise. Son objectif est de centraliser, de tracer et de distribuer à chaque maillon de cette nouvelle chaîne industrielle qui se numérise toutes les données techniques liées à la vie des produits et aux projets qui entourent leur développement. Vision idyllique ? Non, plutôt théorique et très inégalement partagée selon les secteurs d'activité et la taille des entreprises observées.

 

De l'idée au produit fini : un process séquentiel

Impossible, ou presque, aujourd'hui pour un bureau d'études de se passer d'une solution de CAO 3D pour modéliser les produits qui nous entourent au quotidien. PME et grands groupes ont adopté ces solutions que ce soit pour concevoir une carafe ou un avion complet. Les éditeurs de logiciels proposent une gamme de solutions adaptées à ces différents activités et aux publics visés. Certains logiciels sont même gratuits et permettent à des TPE ou des artisans de s'équiper à moindre frais.

 

Le produit défini par son modèle CAO et sa description technique est ensuite confié au département ingénierie chargé d'évaluer son comportement vis-à-vis de son environnement physique. Ces spécialistes utilisent des logiciels (calcul par éléments finis, volume finis, etc.) pour analyser sa résistance mécanique, son comportement dynamique et, selon le produit, ses performances aérodynamiques, acoustiques,sa résistance aux perturbations électromagnétiques, ses capacités de refroidissement, etc. Des essais physiques peuvent également être réalisés pour valider le numérique, tester un domaine non modélisé numériquement, ou satisfaire des exigences réglementaires comme c'est par exemple le cas dans l'aéronautique. Résultats d'analyses et recommandations des spécialistes sont ensuite remontés aux concepteurs pour modifier le projet en conséquence. Ingénierie et études travaillent ainsi par itérations pour aboutir à un produit conforme aux attentes.

 

Pour gérer les évolutions successives du design et les modèles 2D et 3D qui en découlent, le bureau d'études consciencieux utilise une GDT (Gestion des Données Techniques) ou en anglais un PDM (Product Data Management). Ce logiciel de gestion archive les données techniques (modèles CAO, dossiers techniques, spécifications, etc.) et automatise certaines tâches comme les processus de modification, ou plus basique, l'incrémentation des différentes versions de plans, par exemple.

 

Le projet figé est enfin confié au département des méthodes, ou à un sous-traitant chargé de l'industrialisation. Sa tâche ? Déterminer la gamme de fabrication idéale en tenant compte des ressources industrielles et financières disponibles. Une démarche qui nécessite, elle aussi, des allers-retours avec le département des études afin d'obtenir le meilleur compromis entre innovation conceptuelle et facilité de fabrication du produit. La définition numérique 2D ou 3D des pièces est transférée dans un logiciel de FAO (Fabrication Assistée par Ordinateur) pour établir l’enchaînement et le détail des opérations d’usinage qu'il s'agisse de fraisage, tournage, poinçonnage, découpe, soudage, pliage, etc. Dans le cas de pièces plastiques, ou de pièces embouties par exemple, l'outil de FAO est employé pour concevoir l'outil d'injection ou d'emboutissage. La technologie numérique sous-jacente reste globalement la même : tous les usineurs utilisent aujourd'hui des logiciels de FAO leur permettant de programmer hors-ligne leurs machines-outils et cellules robotisées. Soit pour fabriquer directement la pièce, soit l'outillage ou le moule permettant sa production en de multiples exemplaires.

 

Ce rapide tableau de la démarche traditionnelle pour concevoir et industrialiser un produit montre immédiatement une lacune : le travail est séquentiel, très segmenté entre chaque spécialité et les multiples itérations pour aboutir après essais-erreurs au "bon produit" allongent les temps de développement. Or, le monde consumériste n'attend pas ! Il lui faut toujours plus de produits nouveaux. Le time to market est devenu l'enjeu fondamental de tous constructeurs. Cela implique un décloisonnement des départements internes des entreprises, un travail collaboratif resserré avec les partenaires extérieurs, et la parallélisation des tâches d'ingénierie.

 

Intégration, simulation et collaboration

La majorité des industriels qui conçoivent et développent des produits adopte aujourd’hui cette démarche d'ingénierie simultanée. Une démarche ancienne certes, mais qui implique une forte remise en cause de l'organisation des entreprises. Revoir ses processus, les formaliser, travailler ensemble, partager l'information tout au long des projets de développement… constituent de minis révolutions pour des entités habituées à un fonctionnement en silos quasi étanches et à ne délivrer leur travail, que lorsque celui-cio est terminé ou presque.

Le PLM et ses outils logiciels ont cependant favorisé cette remise en cause des méthodes pour gagner en terme de productivité, de souplesse, d'innovation, bref de performance. Les industriels utilisent désormais des solutions intégrant sous un même environnement logiciel : la CAO, la GDT, la FAO, la production de notices techniques, d'images réaliste, etc. Et puis, la CAO ne concerne plus seulement la mécanique. Des modules métiers permettent d'aborder l'électricité, l'hydraulique, la climatisation, le style… et même le calcul numérique. On voit ainsi des concepteurs utiliser des outils d'analyse "simplifiés" pour faire des choix techniques très tôt dans le processus de conception. Cela facilite largement le dialogue ensuite entre dessinateurs et "calculeux", et surtout cela évite des erreurs techniques très chronophages lorsque qu'elles surviennent en début de cycle.

 

Les logiciels de conception bénéficient donc de nouvelles fonctions et leurs prix ne cessent de baisser. C'est la possibilité pour les PME de gagner du temps sur leurs développements, de maîtriser en interne de nouveaux aspects techniques et d'innover grâce à cela. Et, s'ils utilisent des logiciels différents, les standards d'échange permettent une réelle interopérabilité entre outils complémentaires, voire concurrents. Il reste des progrès à faire bien sûr, mais on assiste à une convergence des formats de données numériques dans les filières majeures que sont l'automobile et l'aéronautique notamment.

Par ailleurs, les récents développements en matière de CAO 3D permettent à tous de trouver l'outil correspondant à ses besoins. Modélisation paramétrique et modélisation directe se complètent désormais au sein des principaux logiciels du marché. Ces technologies réconcilient production de masse et personnalisation à la demande, conception structurée puissante et rapidité de modification.

L'arrivée sur le marché de solutions moyen de gamme particulièrement performantes a permis à nombre de PME de s'équiper, et de travailler ainsi avec des donneurs d'ordres exigeants des échanges de données numériques.

 

Maquette numérique et PLM

Enfin, la démocratisation de la 3D comme support de conception multi-métiers a progressivement instauré l'idée d'un référentiel géométrique et technique pour tous les intervenants d'un projet. L'industrie automobile et la filière aéronautique travaillent désormais avec ce référentiel baptisé maquette numérique. Un projet comme le Falcon 7X de Dassault Aviation, par exemple, a été entièrement réalisé sur des données numériques centralisées et partagées avec tous les fournisseurs de l'avionneur. Un support collaboratif indispensable pour élaborer des produits complexes, et surtout engager une ingénierie simultanée efficiente.

La gestion de cette maquette numérique est assurée par l'utilisation conjointe de systèmes de GDT étendue qui ont progressivement pris le nom de PLM. Ces solutions de PLM gèrent les configurations de cette maquette numérique, toutes les données techniques qui s'y rapportent, mais aussi tous les processus industriels liés au développement d'un produit. PLM et maquette numérique se sont donc généralisés dans les grandes entreprises orientées "processus" permettant le co-développement dans un contexte d'entreprise étendue.Ils se sont ensuite diffusés vers fournisseurs de premier rang et les sous-traitants travaillant sur des projets d'envergure moindre. Des constructeurs de produits ménagers, de biens de consommation, voire d’équipements industriels adoptent cette organisation PLM. Mais l'effort reste important, tant sur le plan financier que structurel. Ainsi, s les grandes entreprises sont en cours d'étude, voire d'intégration d'un PLM de seconde génération, il reste beaucoup de PME qui se posent encore la question de l'utilité du PLM pour leur activité.

 

Ce qu'il reste à parcourir ?

Demain, comment et à travers quelles technologies seront conçus et développés les produits manufacturés ? Les pistes sont nombreuses et nous n'en citerons que quelques unes.

Première tendance remarquable, les produits se complexifient et intègrent de multiples technologies. Parallèlement, les fabricants standardisent au maximum les sous-systèmes qui les composent pour faire des économies d'échelle. Daniel Krob, Président de Cesames et professeur à l’Ecole Polytechnique : "Dans ce contexte, il faut être capable de construire rapidement et de manière rentable des solutions intégréesen garantissant leur performance aux clients. Cela ne peut cependant se faire sans appréhender efficacement leur complexité technique et humaine due à l’intégration de composants inter-connectés de produits et de services de plus en plus nombreux." L'architecture système permettant de modéliser à haut niveau le fonctionnement d'ensembles composés de sous-systèmes  devraient donc se diffuser progressivement. D'abord à l'ensemble des acteurs des filières automobile, aéronautique et naval, où elles est déjà à l’œuvre depuis peu, mais également vers d'autres secteurs d'activité.

 

Si l'on descend au niveau technique, l'association quasi-systématique de mécanique, d'électricité, de logiciel, et désormais de communication exige également une mutation profonde des équipes de conception. Mécaniciens, électriciens, hydrauliciens et électroniciens viennent à peine de "faire connaissance" à travers le développement de produits mécatroniques. Ils doivent faire une place à leurs collègues des logiciels embarqués, qui prennent une part grandissante dans la valeur ajoutée des produits ! Une place qui doit être prévue dès les premières étapes de développement produits, voire dès les premières idées proposées…

 

Parce que les produits se complexifient et deviennent obsolètes de plus en plus rapidement, on se dirige vers l'achat d'un service rendu par l'objet et non de l'objet lui-même. Qu'il s'agisse d'une voiture, d'une cafetière expresso ou d'une installation de climatisation industrielle, les clients veulent un service global. Les constructeurs doivent donc intégrer dès leur conception les services de maintenance, de pilotage, de configuration à distance, de mise à jour, etc. qui lui apporteront sa véritable valeur. Cela signifie également l'explosion du nombre d'objets et d'équipements industriels
connectés (50 milliards prévus en 2020) et donc l'utilisation de solutions informatiques capables de traiter ces flux de données et d'en extraire une plus-value de service.

 

Simuler le produit, le process et… le client

Seconde tendance, la simulation est désormais à la portée de tous. Non seulement, les entreprises peuvent anticiper virtuellement le comportement des produits finis avant d'avoir fabriquer la moindre pièce, mais les plus avancées s'attaquent désormais à la simulation de process. Les plasturgistes et emboutisseurs utilisent déjà des logiciels pour simuler et optimiser l'injection d'une pièce plastique dans son moule, ou son emboutissage sous presse. Les "usineurs" font la même chose pour gagner quelques secondes sur des parcours d'usinage ou optimiser la longévité de leurs outils. Cette technologie de FAO avancée est disponible également pour les opérations robotisées d'assemblage, de palettisation ou de peinture par exemple. L'objectif visé à terme ? La simulation globale de toute l'usine de production : l'ère du 4.0… Un levier majeur pour raccourcir ce fameuxtime to market. Ceux qui réussiront à concevoir le produit en même temps que les process de fabrication gagneront la bataille de la compétitivité. Pour Yves Coze, Sales Vice-président Delmia Emea South, la situation est claire : "les grandes PME sont désormais sur des marchés où la concurrence est internationale. Celles qui ne passeront pas rapidement à la technologie numérique pour optimiser leur production sont vouées à disparaître."

 

Par ailleurs, d'outil de vérification, le calcul numérique devient progressivementoutil d'optimisation, voire de prescription technique. Dans des domaines où les paramètres techniques du produit sont nombreux et sensibles à la moindre variation, ce sont les logiciels de calculs qui déterminent les meilleurs compromis conceptuels. En fonction de contraintes d'entrée, certaines solutions vont jusqu'à proposer la forme optimale qui y répond… Le rêve, ou le cauchemar de l'ingénieur, le design dirigé par le calcul !

 

Toujours dans ce domaine de la simulation, les technologies de réalité virtuelle et d'immersion 3D sont de plus en plus employées par l'industrie. D'une part, pour prendre des décisions plus justes en phase conceptuelle, d'autre part pour former leurs équipes aux bons gestes, enfin pour valoriser leurs concepts auprès de leurs clients. Si elles sont encore très chers pour la plupart, des solutions plus économiques voient le jour, et la tendance n'est pas prêt de s’arrêter.

Enfin, pour clore ce chapitre des technologies qui ne manqueront pas d'occuper les industriels dans les dix prochaines années, on ne peut faire l'impasse de l'impression 3D. Nous n'en sommes qu'au commencement, mais le potentiel est énorme. En terme de prototypage pour les bureaux d'études qui souhaitent évaluer rapidement un concept innovant, et de fabrication rapide pour les petites séries de pièces techniques dans de multiples domaines.

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